Grève du résidentiel : tout ça pour ça ?
- Alex Méthot

- 19 août
- 4 min de lecture
Voilà maintenant deux mois que la grève dans le secteur résidentiel a pris fin, après avoir paralysé les chantiers durant 15 jours. Les travailleurs de ce secteur reçoivent désormais leurs nouveaux taux de salaire, augmentés de 8 %, comme dans les autres secteurs. Un résultat directement lié à la mobilisation, rappelons-le, puisque le côté patronal n’offrait que 5 % pour la première année, sans égard aux accords conclus ailleurs.
Bien que le recours à la grève ait permis de dénouer des discussions qui piétinaient à la table de négociation, plusieurs s’interrogent encore sur la pertinence du conflit et sur ses résultats. La question est légitime : les 15 jours de débrayage en auront-ils valu la peine au final ? Dressons un bilan.

Les salaires Grève du résidentiel
L’enjeu au cœur du conflit était sans contredit les salaires. Non seulement l’écart salarial déjà existant menaçait de s’accroître, mais la partie patronale osait également en faire la cause principale de la hausse du coût de l’habitation.
Pourtant, entre 2021 et 2025, les salaires dans le résidentiel n’ont augmenté que de 8,5 %. Rien à voir avec les hausses exorbitantes des loyers et du prix des maisons sur la même période. La main-d’œuvre est un facteur parmi d’autres dans l’augmentation des coûts de construction, mais est-elle réellement le plus déterminant ?
Certains estiment qu’une hausse salariale insuffisante revenait à demander aux travailleurs de se sacrifier pour limiter la hausse des prix — mais est-ce réaliste dans un contexte où l’inflation touche aussi les travailleurs ? Des entrepreneurs ont d’ailleurs reconnu, dans les derniers jours de la grève, que des salaires inférieurs constituaient un frein pour attirer les travailleurs qualifiés. Ils ont souligné qu’un coût de main-d’œuvre plus bas pouvait au final revenir plus cher si les travaux avançaient plus lentement ou nécessitaient davantage de corrections.
Au terme du conflit, les travailleurs ont obtenu la même hausse de 8 % que dans les autres secteurs pour la première année de convention. La décision de l’arbitre cet automne fixera les années suivantes. Reste à voir si les hausses seront uniformisées pour l’ensemble des détenteurs des mêmes cartes de compétence.
Dans ce scénario, un travailleur présent sur les lignes de piquetage, recevant 100 $ par jour du fonds de grève, ressort malgré tout gagnant : environ 8 000 $ de plus sur quatre ans que s’il avait accepté l’offre initiale de 16,5 %, et ce, malgré les jours de travail perdus.
Cependant, le résidentiel léger demeure en retard. Plus l’écart se creuse, plus il devient difficile à combler. Un comité a d’ailleurs été mis en place pour se pencher sur cette question d’ici la prochaine ronde de négociations.
La mobilisation
Pour un secteur réputé pour son faible niveau d’engagement, la mobilisation a surpris. Beaucoup plus importante que lors des grèves passées, elle s’explique par le caractère direct et sensible de l’enjeu salarial, surtout dans un contexte inflationniste alimenté par l’instabilité géopolitique mondiale.
Cela dit, plusieurs travailleurs n’ont pas suivi l’ordre de grève, tout en bénéficiant des gains obtenus. Est-ce une injustice ? Comment expliquer ce choix ? Pour certains, il s’agissait d’une impossibilité financière de perdre une ou deux semaines de salaire. Mais la question demeure : à long terme, est-il plus coûteux de perdre quelques jours de travail ou d’accepter des hausses salariales moindres ?
La construction est un secteur marqué par des fluctuations liées à la demande et à la météo. Ceux qui recherchent une stabilité absolue peuvent-ils réellement trouver ce qu’ils cherchent dans ce domaine ?
Un enjeu de fond demeure : comment éviter que ceux qui ne respectent pas une grève profitent des mêmes gains que les autres ? Retirer l’affiliation syndicale ? Dans une industrie où la syndicalisation est obligatoire, cette voie semble difficile. Faut-il plutôt envisager une modification de la loi R-20 pour interdire le recours à des briseurs de grève ?
Enfin, certains travailleurs ne se sentaient pas concernés, puisque leurs employeurs leur versaient déjà les conditions des autres secteurs. Mais si c’était le cas, pourquoi ne pas l’inscrire officiellement dans la convention ? Était-ce pour garder une marge de manœuvre en cas de changements sur le marché du travail ?
Encore des disparités
Si l’on compare les conventions collectives 2025-2029, certaines différences soulèvent des questions quant à l’attractivité du secteur résidentiel :
absence de frais de déplacement en deçà de 120 km pour le résidentiel léger, alors que le résidentiel lourd a obtenu une bonification ;
absence de régime complémentaire d’assurance médicale pour certains métiers ;
surtout, aucune clause de protection contre l’inflation, contrairement aux autres secteurs.
Cette clause permet aux autres branches de l’industrie de garantir, en 2029, une augmentation équivalente à l’IPC + 0,5 %, même sans nouvelle entente. Le résidentiel risque-t-il de se retrouver une fois de plus en décalage ? Faudra-t-il négocier une rétroactivité pour compenser ce manque à gagner ?
En conclusion
C’était une première : une grève qui ne touchait qu’un seul secteur, pendant que 197 000 autres travailleurs poursuivaient leurs activités. Cette expérience soulève plusieurs constats.
La mobilisation, bien qu’imparfaite, a permis des gains réels. Mais était-elle suffisante pour obtenir des avancées majeures ? Peut-être pas. Reste que l’action s’est déroulée sans incident majeur, un fait rarement observé dans l’histoire des conflits de travail de l’industrie.
Deux points méritent aussi d’être notés :
la présence accrue de jeunes travailleurs, plus conscients des enjeux et plus affirmés dans leurs revendications. Est-ce le signe d’une relève plus engagée pour l’avenir ?
la diminution progressive du nombre de grévistes sur les lignes, faute de moyens financiers. Cela soulève la question : comment améliorer le fonds de grève, respecter ses limites légales, et s’assurer qu’il permette une mobilisation soutenue sans décourager ceux qui peinent à tenir financièrement ?
En somme, la grève du résidentiel a permis de combler une partie du retard salarial et de mettre en lumière le rôle de la mobilisation. Mais elle a aussi révélé des disparités persistantes, l’absence de certaines protections, et les défis liés à la capacité financière des travailleurs à soutenir un conflit prolongé.
Alors, tout ça pour ça ? Ou bien fallait-il passer par là pour éviter que le retard ne s’aggrave encore davantage ?






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