Grève dans le résidentiel ; le gouvernement peut-il imposer une loi spéciale ?
- Vincent Bernier
- 30 mai
- 3 min de lecture
Le 28 mai 2025, une grève générale illimitée a été déclenchée dans le secteur résidentiel de la construction au Québec. Alors que les négociations entre l'Alliance syndicale et l'Association des professionnels de la construction et de l'habitation du Québec (APCHQ) sont au point mort, le ministre du Travail, Jean Boulet a faite différentes déclarations, tout en précisant qu'il ne souhaite pas, pour l'instant, recourir à une loi spéciale pour forcer le retour au travail.
« On ne sera pas patient » — Ministre du Travail, Jean Boulet
Cette situation soulève une question cruciale : le gouvernement peut-il légalement imposer une loi spéciale pour mettre fin à cette grève ?

Le cadre légal : la Loi R-20
Au Québec, les relations de travail dans l'industrie de la construction sont régies par la Loi R-20 (Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d'œuvre dans l'industrie de la construction). Cette loi encadre les périodes de négociation, le dépôt des conventions collectives, ainsi que le droit de grève ou de lock-out dans le cadre du renouvellement des conventions collectives sectorielles.
Elle confère donc aux syndicats le droit de recourir à la grève, et aux employeurs celui de décréter un lock-out, dans un cadre bien balisé.
Mais la Loi R-20 ne prévoit aucune disposition précise sur le recours à une loi spéciale par le gouvernement.
Les précédents : la loi spéciale de 2017
En mai 2017, une grève de l’ensemble des secteurs de la construction a mené à l’adoption, en urgence, d’une loi spéciale par le gouvernement libéral de l’époque. Cette loi forçait le retour au travail et imposait une période de négociation encadrée, sous peine de lourdes amendes.
La loi a été contestée par plusieurs syndicats, et en 2023, la Cour supérieure du Québec l’a déclarée inconstitutionnelle. Selon le jugement, elle portait atteinte à la liberté d’association garantie par l’article 2d de la Charte canadienne des droits et libertés.
Ce jugement établit un précédent majeur. Il rappelle que le droit de grève, en contexte de négociation collective, est protégé par la Constitution canadienne.
Ce qu’une loi spéciale doit respecter pour être légale
Selon la jurisprudence (notamment l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour, 2015 de la Cour suprême), une loi spéciale est possible, mais seulement si :
Elle répond à un objectif urgent et réel (ex. : santé ou sécurité publique, crise nationale).
Elle est minimale et proportionnée dans sa portée.
Elle prévoit un mécanisme de remplacement équitable, comme l’arbitrage indépendant.
Autrement dit : le gouvernement peut intervenir, mais pas n’importe comment.
Une loi spéciale rédigée trop largement ou imposée trop rapidement risque fortement d’être invalidée en cour.

L’engagement moral contre les lois spéciales
En 2021, à la suite des tensions liées à la loi spéciale de 2017, le ministre Jean Boulet et les syndicats avaient convenu d’un engagement verbal et public pour favoriser la négociation libre et éviter les lois spéciales dans l’avenir.
Bien que cet engagement n’ait aucune force légale, il a été vu comme un geste de bonne foi. Le gouvernement Legault l’a d’ailleurs rappelé à plusieurs reprises depuis le début des négociations de 2025.
Les options du gouvernement
Le ministre Boulet continue d’affirmer qu’il privilégie la médiation, la conciliation et l’arbitrage, tout en avertissant que l’État ne « sera pas patient éternellement ».
S’il choisit d’aller de l’avant avec une loi spéciale, le gouvernement devra démontrer :
Que la grève a un impact majeur et immédiat sur l’économie ou le public.
Qu’aucune autre voie n’est possible pour résoudre le conflit.
Et que la mesure ne viole pas les protections constitutionnelles.
Il devra aussi faire face à un risque politique réel : celui de voir sa loi annulée, et sa crédibilité entamée dans les futures négociations.
Conclusion
Le recours à une loi spéciale dans le secteur résidentiel est légalement possible, mais constitutionnellement fragile. Le gouvernement devra marcher sur une ligne fine entre urgence politique et respect des droits fondamentaux.
Depuis le jugement de 2023, le seuil d’acceptabilité d’une telle mesure est plus élevé que jamais.
Alors, est-ce que Québec ira jusque-là ? Tout dépendra de la durée du conflit, de l’intensité de la pression publique… et de l’évolution du rapport de force à la table.
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