Si le résidentiel tombe en grève : quels impacts réels sur l’industrie, les travailleurs et la société?
- Vincent Bernier
- 22 mai
- 4 min de lecture
Une grève dans le secteur résidentiel de la construction pourrait être déclenchée cette semaine au Québec. Si elle se confirme, ce serait la première fois depuis 2017 qu’un arrêt de travail majeur toucherait un seul secteur de manière isolée. Le résidentiel, à lui seul, représente environ 20 à 25 % des heures travaillées dans l’industrie. résidentiel tombe en grève
Mais au-delà des manchettes et des discussions syndicales, une question se pose : quelles seraient les répercussions réelles de cette grève? Pour les travailleurs, pour les entrepreneurs, pour les chantiers, mais aussi pour les familles qui attendent la livraison de leur maison ou de leur logement?

Un rappel du rôle clé du résidentiel dans l’écosystème de la construction
Le secteur résidentiel regroupe principalement la construction neuve de maisons unifamiliales, de copropriétés (condos), et de petits logements locatifs. Il emploie des dizaines de milliers de travailleurs dans toutes les régions du Québec et repose fortement sur des équipes de métiers spécialisés : charpentiers-menuisiers, électriciens, plombiers, plâtriers, peintres, poseurs de systèmes intérieurs, entre autres.
Contrairement au secteur institutionnel, commercial ou industriel, le résidentiel fonctionne souvent avec des marges serrées, des échéanciers compressés et une dépendance importante aux sous-traitants.
Ce que l’histoire nous enseigne : les grèves passées et leurs effets concrets
Le Québec a connu plusieurs grèves dans le secteur de la construction, mais très peu ciblées sur un seul secteur comme le résidentiel.
Voici quelques repères :
2013 : grève générale dans les cinq secteurs pour le renouvellement des conventions collectives. Durée : six jours. L’impact économique direct fut évalué à plus de 400 millions de dollars en retards, pertes de productivité et pénalités contractuelles. Selon le ministère du Travail, environ 94 000 travailleurs ont été touchés, entraînant environ 668 000 jours-personnes perdus. Le gouvernement de Pauline Marois a adopté une loi spéciale pour forcer le retour au travail des 77 000 travailleurs des secteurs industriel, commercial et institutionnel
2017 : environ 175 000 travailleurs de la construction ont déclenché une grève générale illimitée. Le gouvernement de Philippe Couillard a adopté une loi spéciale le 30 mai 2017, forçant le retour au travail le 31 mai. En décembre 2022, la Cour supérieure du Québec a déclaré cette loi invalide et inconstitutionnelle, estimant qu'elle portait atteinte à la liberté d'association des travailleurs.
Ces précédents montrent que même une grève de courte durée peut entraîner des effets durables : congestion des calendriers de chantier, pertes financières, interruption de chaînes d’approvisionnement, remise en question de la confiance dans l’industrie.
Ce que ça changerait pour les travailleurs du résidentiel résidentiel tombe en grève
La grève est un droit fondamental, mais elle implique aussi des conséquences concrètes pour ceux qui la déclenchent :
Aucune paie pendant la durée de la grève : la majorité des syndicats de la construction ne versent pas d’indemnité de grève à leurs membres. Il existe parfois des fonds limités ou des formes d’appui ponctuelles, mais en règle générale, les journées de grève sont assumées directement par les travailleurs. Dans certains cas particuliers, des recours collectifs ont permis de récupérer des montants rétroactivement — comme en 2025, où près de 160 000 travailleurs étaient admissibles à un montant de 330 $ lié à une grève survenue en 2011 — mais ce type d’issue demeure l’exception.
Perte de stabilité à court terme : Même si le retour au travail est prévu, des entrepreneurs pourraient retarder la reprise ou redistribuer des contrats.
Impact sur la réputation professionnelle : Certains travailleurs craignent, à tort ou à raison, d’être étiquetés comme « revendicataires » ou « difficiles » à la suite de conflits collectifs.
Solidarité mise à l’épreuve : Tous ne sont pas dans la même situation financière ou familiale. L’unité syndicale peut être plus fragile qu’elle n’y paraît.
Une onde de choc pour les entrepreneurs et les petits constructeurs
Dans le résidentiel, de nombreux entrepreneurs travaillent avec des marges très serrées. Une grève, même courte, peut causer :
Des pénalités contractuelles : Plusieurs contrats de vente ou de construction sont signés avec des échéanciers fixes. Le non-respect de la date de livraison peut entraîner des frais ou des remboursements.
Un décalage dans les prévisions financières : Une semaine de grève peut repousser la facturation de plusieurs semaines, déséquilibrant la trésorerie de nombreuses PME.
Un risque de perte de main-d’œuvre : Certains travailleurs, en raison de la pause, pourraient migrer vers des secteurs non touchés (réno, hors décret, commercial & industriel), ce qui rendrait le redémarrage plus lent.

Et pour les familles et les acheteurs?
C’est peut-être là que les impacts se feront le plus sentir.
Retards de livraison : Pour des milliers de familles qui attendaient leur maison ou condo pour cet été, un arrêt de quelques jours peut décaler la livraison de plusieurs semaines, voire mois.
Prolongation de situations précaires : Plusieurs familles vivent en attente : en location temporaire, hébergées chez des proches, ou en situation d’endettement. Un chantier suspendu devient un stress majeur.
Augmentation des coûts : Le coût de la reprise, combiné à la possible revalorisation des salaires, pourrait faire grimper le prix des projets à venir.
Une grève résidentielle… aux effets plus larges?
Même si elle est limitée à un secteur, la grève pourrait avoir des impacts indirects :
Perturbation de l’approvisionnement : Plusieurs fournisseurs travaillent en fonction de la demandes. Si les chantiers s’arrêtent, les entrepôts se remplissent, les livraisons sont suspendues, et les surplus s’accumulent.
Contamination vers d’autres secteurs : Une grève réussie peut inspirer d’autres revendications dans l’ICI ou sur les chantiers publics. À l’inverse, elle peut aussi créer des tensions.
Perte de confiance du public envers l’industrie : À une époque où le logement est une priorité politique, un arrêt de chantiers résidentiels pourrait devenir un enjeu électoral.
Un test pour l’industrie
Si la grève éclate, ce ne sera pas une simple formalité administrative ou une pause temporaire. Ce sera un test réel de la solidité des relations de travail dans le résidentiel, de la résilience des entrepreneurs, et de la capacité collective à absorber un choc.
C’est aussi un moment pour réfléchir à ce qu’on attend du secteur résidentiel dans un Québec qui manque cruellement de logements.
Et poser la question de fond : est-ce qu’on traite les travailleurs, les entrepreneurs et les familles à la hauteur de l’importance qu’on dit accorder à la construction?
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